Meoooow... Qu'est-ce que tu fous là, toi ?!

C’est chaud, et ça a une drôle d’odeur. Je renifle – ça donne même envie d’éternuer. Le soleil pourtant se lève à peine, et je ne sais pas ce que ça peut bien être. Je ne suis pas habitué à quelque chose de chaud dans mon lit – pas depuis un bout de temps en tous cas –, et encore moins avec cette odeur-là. Huyana sent bon. J’ouvre un œil endormi, et sursaute d’effroi. Merde. Un chat. Mais qu’est-ce que tu fous là, toi ?! Je n’ai pas de chat ici, non, pas de chat. Je déteste les chats. Et les chats me détestent. C’est un fait reconnu. Qu’est-ce que fait cette chose chez moi ? Je saute du lit en caleçon – pourquoi s’embarrasser d’un pyjama ? – et dévale les escaliers quatre par quatre. Une fois au rez-de-chaussée, je constate l’étendue des dégâts. Un pot de fleurs cassé, c’est Nuttah qui va être contente, et les lunettes de lecture du vieux Yuma tombées sur le canapé. Quelle idée aussi, de toujours les laisser sur le rebord de la fenêtre. Celle-ci, grande coupable, est ouverte, signe de sa traîtrise. Je maudirais bien la fenêtre, mais c’est cette bête qui est responsable de tout ça. « Zou, dehors, ouste. » Je l’attrape par la peau du cou, et la créature miaule à en réveiller les voisins, puis la jette dehors. Voilà. Débarrassé. L’esprit tout chamboulé, encore un peu endormi, je remonte les escaliers, quand la caractéristique boule de poils se faufile entre mes jambes, me provoquant des frissons jusqu’en haut du dos. Mais… ?! la fenêtre. Quel con. Je referme celle-ci aussitôt, mais impossible de m’emparer de la créature qui, désormais avertie de mes mains traitresses, ne se laisse plus attraper. La peau du cou, remarquez, ça doit pas faire du bien. Attendez que je l’attrape par la peau du cul et que j’en fasse un sac à mains. Je déteste les chats – cette pensée me hante. « Nuttah ! Nuttah ! » Je réveille toute la maisonnée, et cette chose, qui fuit mon emprise, me suit jusqu’au grenier où je tambourine contre la porte. « Nuttah ! » C’est une voix ensommeillée qui me répond d’aller me faire cuire un œuf chez les grecs, et même si ça me semble plus réjouissant que d’être suivi parce ce chat, ça me semble un peu compliqué dans l’immédiat. Ma mère semble trouver le moment approprié pour faire une apparition – elle a le sens du timing, ma mère. « Dis, t’as pas un peu fini de gueuler partout comme ça ? » Elle a des cernes bleus sous les yeux, des bleus violets sur les bras, et du rose aux pointes de ses cheveux blonds. Elle a quarante-quatre ans, et ne ressemble plus à rien. Je ne sais même pas si elle s’est couchée cette nuit – ou si elle a veillé avec sa bouteille de whisky. « J’ai ce truc qui me suit partout, j’arrive pas à le foutre dehors. » Elle hausse les épaules, et poursuit son chemin vers la cuisine, où elle s’empare d’un cookie. Je les ai fait la veille avant de me coucher, et rangés dans une boite hermétique pour qu’ils ne prennent pas l’humidité. Bien sûr, une fois son butin en poche, elle ne remet pas le couvercle à sa place. Pris de colère, je me déplace, referme la boite, et la créature au pelage noisette me suit à la trace. Sautant sur mes pieds, je me retourne, pose les mains dessus, mais non, le voilà qui s’échappe de nouveau. Il m’a même griffé assez profondément. J’ai deux trainées rouges sur les avant-bras ; et ça pique. Sale bestiole va. « T’as qu’à l’adopter. Il a l’air de bien t’aimer. » Je regarde ma mère avec un air ahuri, et elle n’a pas l’air de le remarquer. Elle ne remarque rien de toutes manières. « Et tu l’appelleras Napoléon l’envahisseur. Celui qui s’est ramené sans qu’on aille rien lui demander. » J’ai bien envie d’étrangler ma mère en même temps que la créature à poils, qui sort les griffes et tire ses moustaches dès que j’essaie de m’en saisir. J’aurais mieux fait de fermer la fenêtre du premier coup – je me retrouverais pas comme un con, maintenant que je ne peux plus le faire partir. Je me sens un peu confus – sorti du lit comme un malpropre par une boule de poils de cette taille, et j’ai comme la sensation que la journée va mal se passer. Un chat pour moi, c’est un aussi sinistre présage que le passage d’un vol de corbeaux. Et ça a toujours été comme ça – eux et moi, ça va pas. On s’entend pas. Je sais pas pourquoi celui-là me suit comme un magnet – je lui ai rien demandé moi. C’est Huyana qui aime les chats. Va, pfiou, dégage, va chez Huyana. Mais non. Rien du tout. Il faut qu’il reste là à me regarder de ses yeux jaunes. Si j’avais une poele, je l’assomerais un bon coup tiens – et puis Nuttah me le rendrait bien, ce coup, pour maltraiter une pauvre petite bestiole innocente. J’irais pas jusque là – innocente ? Mon œil oui. Je repère le bordel dans un coin de la cave, à la recherche d’un objet susceptible de l’effrayer. De le faire fuir. Des quilles, une boule de bowling de quand j’avais quinze ans, des balais plein d’araignées oubliés là par Nuttah, une canne à pêche, celle du grand-père Yuma, le frère de Nuttah, vieux cheyenne. Et c’est là que je la vois. La cage à oiseaux. Je ne sais pas pourquoi, mais à mes six ans, j’ai voulu un perroquet. Je ne l’ai jamais eu, mais c’est toujours mon rêve, aussi fou que ça ait l’air, et avant même de savoir que maman et Nuttah refuseraient, j’étais allé chercher cette cage à oiseaux. Ni une ni deux, je m’en empare, et la pose à mes pieds. Le chat la regarde, la jauge, la renifle, et finalement, se décide à faire un tour à l’intérieur, histoire de voir à quoi ça ressemble. Enfin ! je referme la porte fissa, et ma mère dans les escaliers a un regard moqueur. « On doit dire adieu à Napoléon ? » Je ne suis pas content du tout, mais plutôt fier de ma trouvaille. Un chat en moins, un ! Vérifiant toutes les issues, je fais en sorte de ne pas me faire arnaquer une seconde fois, et libère enfin le fauve dans le jardin. Ses miaulements terrorisés et ses griffes sorties ne m’effraient plus. Je lui tire même la langue depuis la fenêtre fermée, et maman ne me voit pas.

© code by Cacadum & image on tumblr