Je plisse le nez de dédain en observant les bidules disposés avec beaucoup trop de soin -à mon avis- et protégés par un cube de verre. Comme si quelqu'un aurait l'idée saugrenue de vouloir subtiliser l'une de ces cochonneries, car au final ce ne sont rien de plus que des morceaux de bois et de pierres. Historiquement parlant peut-être qu'ils ont effectivement une signification particulière, mais de mon point de vue, c'est prendre les gens pour des cons. Qu'est-ce que j'y glande dans ce cas? Excellente question, peut-être que je suis effectivement con, ou alors peut-être que je m'emmerde juste. C'est pas comme si l'animation de cette ville allait exploser des records et puis je ferais n'importe quoi pour éviter de mettre les pieds dans cette nature sauvage à l'extérieur, je préfère de loin la contempler derrière des vitres, sur des photos ou soigneusement empaillés et donc bel et bien morte. Autrement, je ne vois pas d'explication rationnel pour expliquer ma présence dans ce musée, outre peut-être que j'ai tendance à être trop curieux et que mine de rien cette communauté primitive d'indien a réussi à capter un peu de mon attention. Non pas que j'en suis devenu fan, loin de là, mais un peu de connaissances générales m'éviteront peut-être de finir cloué à un quelconque totem, bien que je n'ai pas encore trouvé si la crucifixion était un truc d'amérindiens ou si c'était une lubie propre au peuple de Dieu. Décidément, j'aurais peut-être mieux fait de tendre l'oreille durant mes cours d'histoire.

Je m'avance jusqu'au prochain présentoir, toujours les sourcils froncés de désappointement devant les objets exposés. Cette fois ça me semble bien être une sorte de hachette. Plutôt cool ouais, au détail près que ça devait probablement servir à défoncer des crânes de blancs, peut-être même qu'un de mes très arrières grands-pères y est passé. Un mal pour un bien, vaut peut-être mieux ça qu'autre chose. Personnellement, vu la façon dont les femmes du coin me regardent jusqu'à maintenant, je préfère me prendre un coup de tomahawk sur la tête qu'un coup de boule en pleine tronche, enfin remarquez, si elles sont aussi sauvages au lit qu'en milieu naturel, ça vaut peut-être le coup de tester. J'en parlerai à mon frère, c'est lui l'expert en chatte, bien que je ne suis pas certain qu'il est son master en chatte sauvage. Pour ma part, je m'y connais surtout en couguar, pas très glorieux certes, mais au moins ça rapporte. No regrets.

Je fais encore quelques pas, jetant à tout hasard un regard derrière mon épaule. Cela dit si j'avais pu prédire la vision d'horreur qui en suivrait, j'aurais évité de me retourner. Horrifié, pour ne pas dire à deux doigts d'une rupture neuronale, mes yeux fixent son visage. Voilà je suis mort, je suis en enfer. Elle. Maléfique. En chair et en os. L'instinct de survie me rattrape à retardement et je reporte prestement mon regard devant moi, alors que j’essaie de rapidement calculer mes chances de m'en sortir indemne. Bordel de merde. Qu'est ce qu'elle fiche là celle-là? Comment elle nous a retrouvé, et pire, est ce que son horrible sœur est là aussi? Et pourquoi diable Nicholas n'est jamais là quand j'ai besoin de lui d'abord hein? Après tout ce j'ai fait pour sa pomme, frère ingrat. Faute d'un don d'invisibilité, je décide donc de fuir, enfin autant qu'il est possible de fuir dans un musée. Disons, que je tente plutôt de me dissimuler derrière la reconstitution -très très réussit- du Grand-Chef, non pas sans lui jeter un coup d’œil nerveux au passage, alors que j'ai presque aussi peur de le voir bouger que de voir la femme de mes cauchemars débouler devant moi. Cette ville veut ma mort. Et je serais prêt à parier qu'elle aussi...

J'entends sa voix raillarde siffler de l'autre côté du Grand-Chef alias, il semblerait, Two Moons, grand scalpeur d'hommes blancs. Je sais pas trop si elle lit vraiment ou si elle essaie de se payer ma tête. Je parie sur le deuxième. M'enfin comme je m'en branle au final, je n'ai pas l'intention d'aller vérifier si c'est vrai, je n’ai pas envie de vexer grand-papa indien en cire. Je n'ai pas plus envie de voir sa sale tronche de pétasse de luxe pour tout dire. Alors je reste là et je fais le calcul de mes options. Y'a celle où j'arrache l'arme des mains du Grand-Chef pour la tuer, mais je suis pas certain de la réaction de mon frère si je reviens pour lui annoncer qu'on a le cadavre de la sœur de sa femme à gérer, alors qu'en fait je suis censé lui ramener un morceau de tarte. Je songe plutôt à me porter innocent. Sais pas qui t'es, jamais vu de ma vie. Cela dit je doute un peu qu'elle s'en contente. À coup sûr elle est venu me faire les poches, pas de chance pour elle que y'a rien dedans, enfin si elle en reste à celles de mon froc du moins. Bon c'est pas tout, mais je prends racine là. Je tourne la tête, relève le nez. Je suis grillé de toute façon. Je croise son regard, lui arracherais bien son sourire. Un sourire auquel je réponds par la pareille, bien que le mien soit aussi faux que la déclaration de l'indépendance. «Sérieusement, c'est ta mère que je me suis enfilé, pas toi, et elle vient pas se plaindre ta mère et puis je la préfère hein, elle était moins chiante que vous.» Barges de mes deux! Pourquoi elles peuvent pas se contenter d'ouvrir les jambes au lieu d'ouvrir la bouche?

«Si t'es venu pour du blé, j'en ai pas. Tu crois que je serais ici si j'en avais?» Non mais sérieusement, comme si je viendrais me cacher dans cette savane. J'ai l'air du dindon de la farce? Que je sache y'a pas de plumes qui me sont poussées dans le cul. Si c'était que de moi, je serais encore à Vegas, à baiser des mères de famille et dilapider le fric, frauduleusement gagné par la qualité de mes coups de reins, dans des cochonneries et des jeux vidéo. J'ai même plus de console! Je sais même pas si y'a le wifi dans ce bled! Alors non je n’ai pas de fric à lui donner! Et elle n’aura pas la peau de mon cul non plus! Je lui tourne le dos, traîne ma carcasse plus loin, direction le monde fabuleux où elle arrête de me casser les bottes, monde qui n'existe évidemment pas. Raison pour laquelle je me retourne à nouveau pour la fixer, la pointant du doigt au passage. «Et j'espère pour toi que t'as pas trainé la greluche qui te sers de sœur, parce que mon frangin il a bien plus intéressant à niquer!» Et accessoirement je n'ai pas envie de devoir transformer notre minable garçonnière de location en chambre nuptiale, d'autant plus que je dois dormir juste à côté. Non merci. Je lui sers un air dédaigneux au passage avant de continuer de marcher -fuir- vers la porte de sortie du musée, porte que je m'apprête à franchir au même instant où un éclair déchire le ciel et que le tonnerre claque simultanément. Je me fige. C'était quoi ça, le début de l'holocauste? Les lumières oscillent quelques fractions de secondes et un rideau de pluie s'abat à l'extérieur. Bon, je n'ai pas peur des orages d'accord, ça c'est le truc de Nico, mais à Vegas, y'avait pas de chamans, ni d'esprits en colère, y'avait qu'Elvis. Je tourne tout doucement la tête en direction d'Italia, sifflotant d'un air embêté, voir innocent. J'avais pas prévu de rester coincé là avec elle, si c'était le cas, j'aurais peut-être changé quelques lignes de mon discours de bienvenue. Ou alors je sors et je plonge, mais ça aurait l'air un tantinet désespéré, non pas que je sois particulièrement orgueilleux non plus cela dit.