De la bouffe. De la bouffe qu'il a dit de trouver. Pas un problème en soit, de la bouffe y'en a partout, c'est quand même essentiel à la survie de n'importe qui, et qu'importe qui habite dans ce bled. C'est donc simple comme bonjour, sauf quand on s'appelle Jason Marlow et qu'on n'a pas un billet en poche. Cela dit, c'est également là que devient un avantage le fait d'être Jason Marlow. Si la bêtise est l'une de mes qualités -appelez ça un défaut si ça vous chante-, la débrouillardise fait aussi partie de mon domaine d’expertise, bien qu'en général mes idées de génie se terminent en catastrophe, mais ça, ce n'est pas à l'ordre du jour. Je crève la dalle pour le moment, j'ai l'impression de ne pas avoir mangé depuis un demi-siècle et cette ville ne semble pas s'être munie d'un quelconque distributeur de chips ou de Skittles, à moins que je ne l’aie simplement pas trouvé. Faut dire que tout à l'air de rien ici. Je ne suis donc pas tellement rassuré à l'idée d'y circuler seul, mais Nico m'a faussé compagnie, me soulignant qu'il allait me rejoindre bientôt et de ne pas me faire remarquer. Je me suis bien demandé comment il allait faire pour me retrouver, mais après avoir parcouru la rue, force est de constater qu'il n'y a qu'un seul resto, ça rend tout de suite les recherches beaucoup plus simple et l'endroit beaucoup plus inquiétant. Pas de McDo. Même pas un petit Big Belly Stop. Rien. Rien sauf ce machin, le Waki Diner. Ce n'est même pas un nom de restaurant. Je reste peut-être deux ou trois minutes, coi, à contempler le lettrage au-dessus de la porte et la vitrine de la façade, avec le même air que le type qui vient de voir Godzilla en chair et en écaille. À moins qu'il ne soit en pierre...je sais plus trop, il est fait en quoi Godzilla? Celui du film je parle, pas le vrai. À supposer qu'il y en ait un vrai.

Je finis néanmoins par sortir de ma léthargie, rappelé à l'ordre par un grognement douloureux au fond de mes entrailles, celui qui me rappelle que je viens de me plomber des heures dans un car inconfortable et que la seule chose que j'ai mangé, c'est les bonbons à la menthe que j'ai réussis à gagner en séduisant la vieille grand-mère, au parfum de peppermint, assise dans le banc juste derrière nous. Je pousse donc la porte, entrant totalement incognito, autant qu'il est possible de le faire du moins, pour subtiliser le menu de la première table que je croise. Menu que j'ouvre et que je balaye hâtivement des yeux et qui me laisse immanquablement médusé. C'est quoi cette merde? Ça a l'air santé. Je veux ma shit de cholestérol moi, pas manger de la bouffe de péteur. Ce n'est pas non plus comme si j'avais les moyens de me payer une de ces assiettes. Je relève donc le nez, laisse mon regard parcourir la pièce pour finalement l'arrêter sur la serveuse. Y'a au moins quelque chose qui a l'air appétissant tout compte fait. Je m'avance vers elle, m'arrêtant à sa hauteur, un sourire se glissant naturellement sur mes lèvres. «Yo!» Ou pas. «Humm...alors voilà, j'ai faim et j'ai...vous avez quoi de gras et pas cher? Parce que j'ai regardé ça...» Je lève le menu dans ma main sous son nez. «...et ça veut pas dire grand-chose.» J'arque un sourcil au passage, histoire de donner un peu plus de poids à ma perplexité. D'la merde! «Non en fait, t'sais quoi, je m'en branle. J'ai vraiment pas de fric, alors je vais prendre n'importe quoi qui se mange et qui est pas mortel.» Ça me semble très raisonnable de ma part.

Oh franchement ça aurait pu être pire. Déjà elle aurait pu être une grosse et méchante mégère qui m'aurait pointé la porte du doigt en criant no money, no candy! Je l'aurais probablement envoyé chier dans ses bottes, mais j'aurais tourné les miennes et je me serais cassé d'là. Au lieu de ça, je tombe sur la petite serveuse mignonne, qui rougie et baisse le nez dès que je m'incruste dans son air. Faut dire que j'ai jamais été du genre à raser les murs non plus, les entrées tout en fanfare c'est plutôt mon truc et y'a depuis longtemps que j'ai appris à jouer de ma belle gueule de jeune premier, quoique dans mon cas, je suis bien le deuxième du nom. Après cela dit, je ne suis pas certain que sa réaction passive soit attribuable à mon sourire ou pas plutôt au fait que je l'ai déjà complètement traumatisé. Depuis quand les serveuses sont timides de toute façon? En général, elles sont plutôt du genre à te foutre un pain avec le pot de ketchup. Harpies! Bon mais je ne vais pas me plaindre non plus, tant mieux pour moi, tant pis pour...l'établissement? Quand elle daigne finalement relever les yeux sur moi, je lui sers un nouveau sourire, me rapprochant de quelques pas. Légal! Comme elle est visiblement intimidé, je suis aussi bien de la foutre encore plus mal comme ça il lui prendra pas l'idée de rouspéter. Et moi j'aurai ma bouffe. Gagnant gagnant. Ou presque.  

Elle me propose alors de m'assoir et je glisse machinalement mon regard sur la table à côté, me lançant dans une analyse, sans le moindre intérêt, du meuble en question, ne reportant mon attention sur elle que lorsqu'elle prend à nouveau la parole pour me proposer quelque chose à manger. Là je dois l'avouer, je suis un peu surprit, je m'attendais à plus de résistance, mais soit. Nico sera fier de moi. Alors donc, menu du jour, steak, pas de salade, ce n'est pas aussi alléchant que Big Mac avec grosse portion de frites, mais je crois que ça peut le faire. J'hoche donc la tête d'un air satisfait. «Je vais prendre ça ouais, c'cool. Avec un truc à boire, parce que là je suis à sec, je suis à deux doigts de pisser du sang.» Non pas que le détail soit d'une importance capitale, mais comme je n'ai pas pour habitude de filtrer les commentaires qui franchissent mes lèvres, je ne vais pas m'en soucier. Je m'installe aussitôt à la table, relevant la tête vers elle au moment où elle s'apprête à me tourner le dos pour aller faire...ce qu’elle a à faire sans doute. «Oh hey dis-moi, c'est quoi ce bled? C'est un plateau de tournage, ou un truc historique? Quelque chose dans le genre...» J'accompagne d'un ricanement à moitié faux, histoire de faire genre je m'en fiche, alors qu'en fait l'idée d'être juste nul part est carrément flippante. Non parce que sérieusement, y'a des gens qui vivent ici? C'est à peine croyable quoi. Y'a même pas de casino, comment ils font pour s'amuser? Je paris que Céline Dion est jamais venu chanter ici...ni Elvis d'ailleurs. Bref, je me bile probablement pour rien, Nicholas est surement partie trouver une solution, il va revenir avec un super plan pour nous sortir d'ici vite fait bien fait et ce ne sera plus qu'un horrible cauchemar. Oui voilà. J'ai faim. Elle arrive mon assiette? Le fastfood ils connaissent pas dans ce patelin?